Ce mercredi 10 mai, j’ai assisté à la soutenance à mi parcours de deux doctorants dont le sujet de thèse m’intéressait particulièrement puisque l’un, Olivier Mouginot, travaille sur l’écriture créative en classe de fle et l’autre, Carla Campos Cascales, aborde la question politique de la formation en / à la littérature dans des établissements scolaires européens.
Arrivée en retard de quelques minutes – mais quelques minutes, sur les vingt que devait durer la soutenance, c’est déjà un pourcentage non négligeable – je m’approche de la salle, décidée à n’entrer que si la porte ouverte l’était encore. Elle l’était. J’entre, sûre de moi, certaine de respecter les codes en vigueur. Par bienséance je cherche des yeux une autorisation formelle à entrer. Je comprends l’étonnement de mon interlocutrice à ma question muette en même temps que je découvre que le jeu avait commencé. Et largement. J’arrivais au beau milieu d’une présentation, dans une pièce exigüe de 1500 centimètres carrés, dont la seule table restée libre était celle de devant, vous savez, celle du premier rang, qui n’est pas le mien. Mes jambes et mon buste engagés, je ne pouvais plus reculer. Un réflexe de survie me pousse vers le fond, où je perçois une main accueillante qui esquisse un signe de bienvenue. J’avance donc dans l’idée de prendre place à côté de cette hôtesse solidaire, mais réalise le raffut à venir si je vais au bout de mon projet : il s’agit de faire bouger une table, grincer une chaise, se lever une personne qui devrait me laisser passer. Je dois me rendre à l’évidence : me résigner est la plus sage des choses à faire. Je retourne alors vers la table de devant, derrière laquelle était simplement posée une chaise. Ma chaise. Monsieur Martin a suivi mon manège qui me gestifie accompagné d’une moue d’invitation à cesser sur le champ cette danse et prendre place et fait ici même, devant. Devant m’asseoir, je m’exécute, telle Alice dans la toute petite maison. Et telle Alice, je sens que tout est démesurément grand dans mon corps, tout démesurément petit dans cette salle. Et telle Alice, je redeviens d’un seul coup toute petite, minuscule et Olivier Mouginot me semble géant maintenant. Et je parviens à l’écouter. L’enjeu est d’importance. J’espère ne pas avoir perturber le fil de sa pensée. Bon, le centre de son monde n’est pas le mien, et il est bien possible qu’il n’ait pas même réalisé qu’une nouvelle personne était entrée ici, qui venait de vivre une expérience carrollienne dans ce dédale de millimètres. Cette idée-là me rassure. J’écoute alors.
Il explique la méthodologie qu’il a employée pour rédiger sa thèse et présente les ateliers du dire qu’il a suivis ou conduits. Il précise que ces ateliers n’ont pas pour fonction d’enseigner la langue, mais de vivre et faire vivre une expérience des arts du langage. Il s’agit, dans un atelier du dire, de faire vivre, dans le même temps, le langage, la voix et le sujet. Je suppose que c’est ce moment du vivre-dire qui va permettre que se transforment les trois éléments insécables constitutifs et porteurs du discours : le langage, la voix et le sujet. Je suppose aussi qu’il s’agit, précisément, de ne pas les séparer pour les rendre efficients, ces trois éléments. Je suppose. Je n’en saurai pas plus de cette non-méthode qui semble prendre la vie comme paradigme et qui me semble révolutionnaire puisqu’elle semble mettre réellement le non-apprenant au cœur du non-dispositif de non-apprentissage. Elle bouleverse l’ordre de tout ce que nous connaissions jusqu’alors pour permettre à la fois au langage, au sujet et à la voix – par le langage, par le sujet et par la voix – de se transmuer conjointement.
Suivent les questions du jury, toutes très bienveillantes, dans une volonté que je perçois formatrice. Il s’agit de participer de l’avancée de ce travail de recherche, et certainement pas de juger, évaluer ou dévaloriser un travail en train de se faire. Les questions permettent à Olivier Mouginot de justifier les choix qu’il a faits, les orientations qu’il a prises, mais aussi de dessiner le chemin qu’il prendra pour poursuivre ses recherches, maintenant qu’il a quasiment recueilli toutes les données.
Une question continue à me tarauder : j’aurais bien aimé savoir quelle est la fin de ces ateliers du dire, de cette subjectivisation du praticien de ces arts du langage, dans un ensemble qui dépasserait la didactique des langues, au-delà même de la critique de catégories de la didactique, de la linguistique et du langage qui en est faite.
Je retiens cela de la soutenance et des questions qui ont suivies :
- annoncer clairement ses intentions dès le départ
- toujours lier l’argumentaire à l’hypothèse de départ
- pouvoir justifier tous les choix que l’on fait, tous les arguments que l’on avance
- se fixer un objectif auquel on saura renoncer, revenir sur ses pas, se poser et s’étendre