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L’étudiante et le (vieux) professeur. Dialoguentretien alterfictif de sourds

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L’étudiante et le (vieux) professeur

Un dialoguentretien alterfictif de sourds

Pièce en un acte

 

Avertissement : bien qu’inspirée en partie de faits réels, les personnages et situations décrits dans cette pièce sont purement fictifs.

Lieu : l’action se situe dans l’amphithéâtre d’une université.

Personnages :

Le (vieux) professeur Crapski (le directeur de recherche)

Julianne, l’étudiante

La (jeune) collègue enseignante

Le pote étudiant

Acte 1, scène 1

Un amphithéâtre, le cours est fini, les étudiants sont partis, le professeur Crapski range ses affaires, Julianne, une étudiante, s’approche de lui.

Julianne, l’étudiante

–             M’sieu Crapsky?

Le professeur Crapski

–             Aaah ! Ma p’tite Monique !

–             Euh ! Julianne, monsieur, c’est Julianne…

–             Oui, Julie-anne… (pensif), c’est celaaa, ouiii… Julie-anne… Comment allez-vous mon enfant ?

–             Ça va, monsieur, mais pour mon mémoire, j’ai un peu de mal…

–             Quoi ? Je n’ai pas bien entendu, vous disiez ?

–             Que j’ai un peu de mal à…

–             Non non non ! Il ne faut pas dire ça, il est très bon votre sujet, mademoiselle, il est très bon. Il y a beaucoup de choses à dire dessus… Comprenez bien que Nietzsche ne fait que rapprocher le discours spéculatif du discours poétique, et Héraclite, au-delà de Parménide ou d’Empédocle, représente pour lui la quintessence de ce qu’est le modèle de représentation intuitive.

–             Euh…

–             Et du reste, Nietzsche affirme dans Das Philosophenbuch – que je vous encourage à lire dans la langue de Goethe -, que la littérature partage avec la science la représentation en abstractions transmuées ; la scripturalité philosophique doit transparaître dans une œuvre d’art par la fusion pensée-métaphore et la philosophie du Dasein via le couple communication-communion, ou pour être plus clair dans la relation homme relationnel-homme intuitif.

–             Ah ! Oui, ça je co…

–             Vous saisissez, ma p’tite Jeanne ?

–             Euh… non, c’est pas Jeanne…

–             Ah ! Effectivement, ce n’est pas jeune, les Grecs ont commencé à débattre de la question au VIe siècle avant notre ère.

–             Non c’est pas ce qu…

–             Pardon, parlez plus fort !

–             Euh, en fait, ma problématique…

–             Oh ! La question du métaphorique est centrale, et ce concept va de pair avec celui de la métaphysique.

–             Hein ?

–             Non, deux concepts ! Mais je vous rejoins sur l’idée que tous deux expriment la même idée fondamentale, celle d’un élan de l’indicible vers le dicible. À ce propos, vous avez fini Achèvement de la métaphysique et poésie, de Heidegger ?..

–             Monsieur Crapsky…

–             Crapski !

–             …

–             …et surtout les actes du colloque sur l’herméneutique mallarméenne… Bon, ça vous fait quelques lectures. Haha !

–             103 !

–             Du reste, si vous pouviez m’en faire un compte-rendu… Qui scribit, bis legit, comme on dit en latin… Qui écrit, lit deux fois. Vous disiez ?

–             103. Vous m’…

–             103 quoi ?

–             103 livres.

–             103 livres ?

–             La bibliographie que vous m’avez conseillée comporte 103 livres. Ça fait un peu beaucoup…

–             Ah ! Oui… Mais, bon… Le nombre de titres, vous savez, ce n’est pas ça qui importe. Ce qui importe c’est de les lire… Justement, vous me faites penser que j’ai d’autres articles à vous transmettre qui me semblent importants. Et puis ce serait bien si vous assistiez à certains séminaires, dont un qui se déroulera à Louvain, le 8. C’est bien, Louvain. Vous connaissez ?

–             Euh… Oui… Non… Je ne s…

–             …Ils ont une très belle bibliothèque, qui contient de splendides incunables… Donc, vous avez bien tout compris !?

–             Mais j’ai une question…

–             Encore ? Haha ! Eh bien, gardez-la moi bien au chaud…

–             (Julianne, d’une voix tremblante et hâtive) Vous n’auriez pas des livres plus faciles à lire ?

–             …pour la prochaine fois. Ah ! Je vois ma collègue qui vient me chercher ; je vous dis au revoir et à dans un mois ! Vous me soumettrez alors la dernière ébauche de votre mémoire. Et puis, je ne me fais pas de soucis pour vous, vous êtes brillante. Au revoooir ma p’tite Julie…

–             C’est Jul…

–             …et bonnes lectures ! (Enjoué, il lui montre la sortie)

–             Oui, euh, au revoir monsieur… (Julianne sort, dépitée)

 

Acte 1, scène 2

Julianne est sortie, la collègue entre.

La collègue enseignante

–             Alors ? Tu es prêt ?

Le professeur Crapski

–             Oui, je suis enfin libre. Tu sais, c’est pas facile avec ces étudiants, ils veulent toujours qu’on les rassure ou qu’on leur mâche le travail.

–             Elle avait l’air plutôt soucieuse en sortant.

–             Oh ! Non ! Je ne crois pas ; elle est du genre studieuse, c’est tout. Moi aussi je suis passé par là, je sais ce que c’est : juste l’envie de rendre un mémoire parfait. Et puis elle a très bien assimilé le concept de phénoménologie herméneutique, c’est le principal.

–             Tu es sûr ? Elle est encore jeune…

–             Ouiiiihhh..! Mais elle est intelligente ; tu sais, ils semblent timides, mais ils en savent plus que nous au fond. Hahaha ! On y va ?

–             Oui, allons-y… Ton écharpe !

–             Comment ?

–             Tu oublies ton écharpe.

–             Ah ! Ça, là ? Ah, non, je ne mets pas d’écharpe rose..! Ça doit être à mon étudiante. Elle reviendra sans doute la chercher. (Les deux sortent).

 

Acte 1, scène 3 

La même salle, un peu plus tard, Julianne, accompagnée d’un autre étudiant, entre.

Julianne

–             Ah! Voila mon écharpe !

Le pote

–             Alors, tu disais…

–             Ah oui ! Qu’est-ce qu’il est lourd !

–             Il t’a pas aidée ?

–             Herméneutique, phénoménologie, ontologie, métaphysique, métaphorique… Je m’y perds complet, t’as pas idée. Il a pas un livre du genre L’ABC de la littérature ou La philo pour les nuls ? C’est ça qui m’faut. J’y arriverai jamais…

–             Je te l’avais dit, moi j’ai pris Michalon comme directrice, elle est super.

–             Mais moi aussi j’l’avais choisie, mais y a trop d’étudiants qui l’ont demandée ; lui, personne le voulait. Du coup on m’l’a filé d’office. Ah ! J’suis trop énervée… T’as trop d’chance… On échange ?

–             Euh ! Non ! J’t’aime bien, mais pas à c’point.

–             Pffuhhh ! J’vais faire comment moi ?

–             Ben tu lis des bouquins plus simples sur les mêmes sujets, écrits en français normal, y en a. J’t’en conseillerai quelques-uns. Et puis tu peux venir aux cours de Michalon, elle explique tout clairement. Tu vas voir, ça ira, tu es brillante…

–             Ah non ! Dis pas ça, tu m’fais penser à lui, y m’a dit la même chose. Ah ! C’est trop injuuste… Franchement j’suis dégoûtée… Bon ! On va où au fait ?

–             À un séminaire sur l’esthétique de Schopenhauer !

–             Quoi ?

–             Je blaaague… Non, on s’fait une soirée tex mex chez une copine, et puis on ira en boîte plus tard.

–             Ah ! Cool ! Allez ! On s’en va d’ici.

 

 

À suivre !

Jan-Mark Naaijer

Étudiant en M2 de Didactique du Français Langue Étrangère à la Sorbonne Nouvelle ; fortement intéressé par la façon dont la connaissance et la pratique des Arts et de la Littérature peuvent permettre à un apprenant de trouver sa voie/voix.

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