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Regards croisés sur Eli Lotar

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Dans ce billet, je voudrais croiser mes expériences sur une exposition que j’ai visitée il y a quelques semaines. Ou confronter l’art, particulièrement la photographie et le film documentaire avec la méthodologie de recherche. On verra bien quels sont leurs points convergents.

Eli Lotar (1905-1969), photographe et cinéaste français d’origine roumaine, fait partie des premiers photographes de l’avant-garde parisienne. Un artiste interdisciplinaire et engagé, il combine plusieurs pratiques telles que photographie, collages et films.

La rétrospective de son œuvre sera présentée au Jeu de Paume jusqu’au 28 mai. Elle met en exergue l’importance du cinéma et du documentaire pour cet artiste engagé. Ainsi, en se promenant entre surréalisme et documentaire, poésie et engagement, ville et voyage, image fixe et cinéma, on a l’impression de se balader à travers la recherche, entre notions et concepts, enquêtes et terrain, engagement et préconisation, etc. C’est à partir de cette promenade que je voudrais présenter une exposition vue par un rédacteur de mémoire.

Les premiers débuts d’Eli Lotar s’inscrivent dans le courant de Nouvelle vision. La photographie devient un outil d’exploration, on y  découvre le désir de l’auteur pour trouver l’inconnu dans un objet connu. En flânant à travers Paris urbain et industriel, on est d’emblée frappé par le goût du photographe pour les détails. Il les recherche en variant la focalisation, en isolant un élément (un flou sur une locomotive) tout en adoptant le procédé de plongée[1], de contre-plongée, de décadrage ou de gros plan, mais aussi un point de vue inhabituel et surprenant. Il me semble que cette technique d’Eli Lotar se puisse bien transposer à la méthodologie de recherche. Ainsi, il faut se laisser jouer avec les notions qu’on adopte – varier leur focalisation, le point de vue, les isoler, rechercher les détails qui échappent afin d’obtenir « l’inconnu dans un objet connu ». Il va de même pour l’objet de recherche. De cette manière, on démontre toute la singularité de notre posture de chercheur.

        

Eli Lotar, Foire de Paris, 1928          Eli Lotar, Locomotive, vers 1929

Peu à peu, la pratique d’Eli Lotar évolue en cédant place au documentaire. Dans ce sens, il se laisse déambuler dans les rues de Paris, dans les petits quartiers misérables, dans des endroits où peu de gens vont. Il capte des figures qui sont dans « un moment de vision intérieure, dans un moment de pause »[2]. Mais son vrai engagement documentaire, à savoir social et politique, se réalise dans les films documentaires. Ainsi, il est opérateur sur le film Terre sans pain de Luis Buñel (1933) dont l’objectif est de démontrer les conditions difficiles de vie des habitants de la région Hurdes, en Espagne. Il collabore également dans le film Zuiderzeewerken de Jorins Ivens (1929). Enfin, en 1945, Lotar lui-même réalise un film intitulé Aubervilliers témoignant d’une grande misère des habitants de cette banlieue parisienne.

Eli Lotar, Dormeuse, Espagne, quatrième voyage, février 1936

Cet intérêt et le travail sur le documentaire d’Eli Lotar  correspond au terrain de recherche d’un chercheur. Après avoir établi un cadre théorique, bien examiné les notions et les concepts, les théories qui lui serviront d’appui, le chercheur se glisse dans le terrain (ou inversement). C’est là où il retrouve toute la richesse de sa recherche. De même comme Lotar, il se laisse flâner dans le terrain, il observe et guette son objet de recherche. Ses enquêtés. Les problèmes qui surgissent… Il est à l’écoute de la théorie et du terrain. Il s’engage aussi… dans le but d’améliorer l’état de choses actuelles dans tel ou tel domaine.

Enfin, ce qu’il lui reste, c’est d’entamer un dialogue avec ses enquêtés, le matériel précieux de chaque recherche. De les écouter, de les comprendre, de se distancier de la posture de chercheur. Mais pas tout à fait. Ainsi, Lotar a mis fin à sa carrière par la collaboration avec Giacometti, sculpteur, dans les années 60. Le dialogue équilibré s’établit entre ces deux artistes : Lotar photographie Giacometti, Giacometti sculpte Lotar. Un dialogue de l’enquêté et l’enquêteur.

  1.                  2.   

1. Eli Lotar, Giacometti à l’hôtel de Rive, Génève 1944

2. Giacometti, Buste de Lotar, 1965

Dans cette perspective, nous avons pu voir un lien étroit entre recherche et art. En fin de compte, l’art est une recherche et la recherche est un art… Eli Lotar l’a bien montré : leurs procédés et leurs méthodes ne se distinguent pas. Ainsi, un dialogue intime s’établit.

Les infos sur l’exposition Eli Lotar (1905-1965) :

Date : du 14 février au 28 mai 2017

Lieu : Jeu de Paume, 1, place de la Concorde

Accès : Gratuit pour les étudiants

Site : www.jeudepaume.org

[1] En photographie et au cinéma, la plongée et la contre-plongée désignent les angles de prise de vue. Ainsi, la plongée est la prise de vue du haut vers le bas tandis que la contre-plongée est un procédé inverse.

[2] Selon les mots de Damarice Amao, commissaire de l’exposition.

Marija Apostolović

Étudiante en M2 DFLE, spécialité 1, option A Université Sorbonne Nouvelle Paris 3

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